Par Léon Idole HOPAY
Le Pouvoir est une confiscation de la puissance de la multitude
(Tribune du Professeur Patience Kabamba)
Le Mot du Weekend (MDW) de cette semaine se veut théorique dans la mesure où il placera la définition du pouvoir dans le corpus spinoziste pour mieux l’utiliser dans la compréhension de ce que nous vivons aujourd’hui en République Démocratique du Congo.
Nombreux parmi nous pensons que la théorie est tout simplement antithétique à la pratique et au concret. Un exemple peut nous aider à mieux intégrer l’idée selon laquelle le concret n’est concret qu’à travers son abstraction. C’est Leibniz qui nous l’apprend.
Durant des années, les hommes ont essayé de comprendre l’univers à travers l’astrologie. Mais, ils n’y sont pas arrivés. C’est uniquement lorsqu’on a commencé à utiliser les abstractions mathématiques de l’astronomie que l’on a compris l’univers qui nous entoure. Il n’y a pas de concret bien compris sans une abstraction profonde. La dichotomie concret-abstrait est tout simplement un débat illusoire.
La monnaie est l’exemple le plus puissant. Il n’y a pas abstraction plus grande que la monnaie. Une chose que nous avons inventée et qui peut se substituer à tout le reste de production humaine. C’est l‘équivalent général. Il est donc la plus grande abstraction qui existe. L’argent est en même temps compris comme du concret. Avoir de l’argent , c’est cela du concret, le reste c’est de l’abstrait, entend-on souvent. L’argent n’est concret que parce qu’il est abstrait.
Le terme “pouvoir” enferme en lui deux concepts quasi homothétiques que Spinoza a préféré décliner en Latin. Le pouvoir comme “potentia” et le pouvoir comme “potestas” .
Le pouvoir théoriquement compris comme potentia – le pouvoir élémentaire par lequel l’être humain déploie ses capacités productives et ses possibilités créatrices – est ontologiquement antérieur au pouvoir exprimé comme une obsession de l’ordre souvent répressif (potestas). Accorder la primauté à la potentia sur le potestas conduit inévitablement à s’interroger sur la centralité conceptuelle de l’État. Alexandre Macron identifie le potestas au pouvoir et le potentia a la puissance du peuple.
La puissance fonctionne ici comme synonyme de “politique” et implique une évolution permanente, un processus qui n’accepte aucune forme “finale”. La puissance est le développement de potentialités, la réalisation de nos possibilités les plus créatrices.
Le pouvoir est la confiscation de la puissance des sujets.
Les institutions, quoi qu’elles soient – parlement, gouvernement ou le corps législatif – durent tout simplement parce que dans la majorité, il n’y a pas de contestation. Le pouvoir dure par la volonté de la puissance de ses sujets. Il faut donc connaître les données de puissance qui font que les pouvoirs sont préservés. L’établissement d’une institution ne requiert pas le consentement des sujets. Les institutions sont une capture de la puissance du peuple. Les pouvoirs survivent par manque de consentement radical des sujets. Les oppositions doivent négocier ce consentement radical pour proposer un processus alternatif aux pouvoirs et proposer un autre déploiement de la puissance collective.
Une institution est une souveraineté. Tant qu’il ne s’est pas manifesté des affectes pour renverser les institutions, elles restent. Le souverain survie tant qu’il a la puissance sur ses sujets. Il faut connaitre les données des puissances qui lui permettent de se maintenir. Les données qui font que le pouvoir se préserve sont cataloguables et peuvent être circonscrites. Le pouvoir est donc une dimension statique alors que la puissance est le devenir même de la multitude, des humains que nous sommes.
La puissance est le fondement de tout pouvoir. C’est nous qui donnons au souverain son pouvoir sur nous. En d’autres termes, le pouvoir n’est qu’un lieu de l’impuissance des sujets permettant au souverain de récolter l’usufruit de leur puissance.
Les conceptions révolutionnaires que les Mot-du Weekend propagent semaine après semaine ont toujours considéré que la puissance des luttes a pour objectif la prise de pouvoir central pour le rendre adéquat à la volonté de la multitude. Les rapports sociaux que nous vivons sont une confiscation de notre puissance par le pouvoir. La classe dirigeante a naturalisé ces rapports sociaux qui consacrent une division de travail destructrice de la puissance de la multitude que nous sommes.
Nous prônons une philosophie politique de l’immanence qui nous fait comprendre que le pouvoir n’est qu’une captation de la puissance du peuple.
Celui qui vous maitrise n’a du pouvoir sur vous que par vous. Les mains qui vous frappent ne sont que vos mains. Le pouvoir est le résultat de notre impuissance, comme nous dit Etienne de La Boétie.
Une institution comme l’État est une capture de la puissance de la multitude. La multitude peut bien reprendre sa puissance et lui donner une autre forme, plus adéquate et plus à même à considérer l’autorité du social et la force morale de la société, comme le stipulait Durkheim.
La souveraineté des pouvoirs institutionnels est une souveraineté dérivée de la souveraineté fondamentale de l’être humain dans sa collectivité, la souveraineté du social.
Toute souveraineté de l’institution n‘est obtenue que par la capture de la souveraineté sociale. L’État Congolais n’est qu’une forme de l’État générique. Ce dernier est l’État ramené à son principe fondamental, au-delà de l’État police. L’État générique est la circulation du potentia dans la collectivité. Il est toujours disponible pour être capturé par un État particulier. L’État générique comme structure élémentaire de la politique est l’État qui est au service du potentia. L’État particulier qui le capture n’est pas nécessairement au service du potentia. Au Congo, il a pris la forme d’un État police. A partir du moment où l’État Congolais s’est écarté des principes élémentaires de l’État générique, il devenu un Etat qu’il faudra a tout prix empêcher de se préserver.
La multitude congolaise devrait ainsi se donner une forme étatiste adéquate à ses aspirations ; une forme d’un État Congolais qui puisse permettre un développement harmonieux de la puissance de sa multitude.
[Pour creuser davantage, on peut lire : La Boétie, Spinoza, Leibniz, Durkheim, Lordon et Kabamba]
Rédaction: +243816440669, +243851211389
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