Par Léon Idole HOPAY
La planète survivra-t-elle au capitalisme?
Ce Mot du Weekend est l’économie de la conférence qu’avait animé le Professeur Patience KABAMBA , le vendredi 11 Novembre 2022 au Centre des Recherches géologiques de Kinshasa.
Lors de cette conférence ,l’orateur du jour a fait allusion à une catastrophe qui se remarque dans la quasi totalité des domaines de la vie,notamment : domaine alimentaire, climatique, sécuritaire, politique …
Nous assistons aux désastres de toutes sortes. Les désastres alimentaires : des enfants qui ne mangent pas à leur faim ou des régions entières en proie à la malnutrition chronique suite aux inondations ou à la destruction des récoltes par les sauterelles ou autres insectes. Nous assistons aux désastres sécuritaires : En dehors de l’Ukraine et du Yémen, tout l’est de la RDC est en proie à l’insécurité chronique causée par les guerres et les rebellions. Depuis plus des dix ans l’Est du Congo est victime des attaques des rebelles ADF.
Nous vivons des désastres politiques ou le contrôle parlementaire dans un pays comme la RDC est réduit à sa portion congrue. Des politiques qui manipulent les résultats électoraux ou les présidents qui imposent leur candidat en se moquant des votes de la population. Nous vivons présentement des désastres humains en Ukraine, comme c’était le cas en Syrie et dans le Maghreb.
Le réchauffement climatique est devenu une réalité que très peu de scientifiques remettent en question aujourd’hui. En effet, l’effet de serre s’observe à travers la couche d’ozone qui empêche ainsi les rayonnement ultraviolet de nous atteindre. Qu’est-ce qui est à la base l’écocide auquel nous assistons ?
L’anthropocène n’est pas la cause de la destruction de l’écosystème
Il est de bon aloi d’attribuer à l’homme la destruction de la planète. C’est cela que nous appelons l’anthropocène. Nous ne partageons pas cette théorie.
Dans Misreading the African Landscape, Society and Ecology in a Forest-Savanna Mosaic, Fairhead et Leach (1996) ont souligné que le discours écologique sur les causes anthropiques de la savannasation du paysage n’est pas étayé par l’histoire sur le terrain. C’est tout simplement trompeur. La savanisation à Kissidougou, en Guinée, par exemple, raconte une histoire opposée au récit écologique.
Cependant, en raison de cette lecture erronée du biome africain, de nombreux aspects de l’utilisation locale des terres ont été criminalisés : mettre le feu est passible de la peine de mort en 1930. Fairhead et Leach soulignent le fait que la conceptualisation de la nature comme un phénomène autonome qui pourrait être étudié comme étant différent de la société humaine, fait partie des Lumières occidentales.
Comme le montre l’expérience congolaise, pour les Africains, la nature est dialectiquement et structurellement liée à la société. La nature ne peut pas être objectivée parce que la nature est la société et la société est la nature. Les politiques environnementales doivent être contextualisées afin de comprendre le processus impliqué dans la formation de l’environnement, dans la manière dont les villageois ont résisté, l’ont renversé, l’ont traité ou l’ont vécu. Fairhead et Leach ont énuméré un certain nombre d’hypothèses (fausses) qui ont fondé le récit écologique :
• L’individu fait un usage excessif des ressources, puis les dégrade.
• Les institutions locales peuvent réglementer, gérer et maintenir les ressources de propriété commune.
• La pauvreté conduit à la dégradation de l’environnement : les gens sont incapables d’investir à long terme dans la conservation des ressources. Les besoins de survie immédiats poussent à une mauvaise utilisation des ressources.
• La démographie ou l’augmentation de la population dépasse la capacité de durabilité de la base de ressources.
La conclusion de l’hypothèse écologique est qu’en l’absence d’une réglementation spécifique, d’une conservation à long terme et de technologie, l’utilisation des terres et de la végétation la dégrade.
Cette conclusion que les écologistes nous vendent doit être historisée. La réalité, dans le cas de Kissidougou, est à l’opposé des hypothèses écologiques. Les forêts de Kissidougou ne sont pas du tout des « reliques » des forêts existantes, mais plutôt dépendantes des conditions édaphiques. Fairhead et Leach soulignent que la théorie de la savanisation, c’est-à-dire que la savane est une dérivation ou un signe d’une forêt existante, ne tient pas face à l’histoire.
Je me place sur la même ligne que Fairhead et Leach qui remettent en cause les théories écologiques selon lesquelles l’être humain est la cause de la destruction des forêts et de la végétation. Les facteurs édaphiques, et non les êtres humains, sont les principaux médiateurs du schéma d’avancée de la végétation. Pour les deux auteurs, le changement de végétation doit être historicisé, c’est-à-dire qu’il doit être examiné en relation avec des histoires spécifiques de la manière dont divers facteurs ont changé et interagi.
Dans la lignée de Fairhead et Leach, mon travail soulignera le fait que le récit écologique est biaisé. Le rôle des personnes est toujours considéré comme ayant un impact négatif sur les terres, sauf lorsqu’il est fait de l’extérieur par la plantation d’arbres ou le reboisement. Fairhead et Leach affirment clairement que l’histoire du déclin de la forêt et de la progression de la savane n’est pas du tout étayée par l’histoire de Kissidougou. Au contraire, au lieu de la savanisation, c’est la réhumidification de la forêt qui se produit en raison de l’installation des communautés. La théorie de la savanisation causée par des éléments anthropiques est en contradiction avec les données de terrain. En d’autres termes, la végétation est une chose sociale, elle est porteuse d’un rapport social. L’anthropocene ne tient donc pas debout comme cause de la dégradation écologique. En conclusion, dans la ligne de l’argument de Fairhead et Leach, l’expérience au Congo nous dit que les locaux voient les forêts comme faisant partie de leur histoire tandis que les Occidentaux font une séparation a priori entre la nature et la société.
Dans leur Conservation in Africa, People, Policies and Practice, Anderson et Grove (1987) soulignent le fait que les orthodoxies de la conservation ignorent les impacts environnementaux de l’expansion coloniale en Afrique. Ils ont défini les termes du débat comme étant la conservation qui incarne les intérêts collectifs à long terme contre les intérêts individuels à court terme. Dans le même ordre d’idées, ils opposent la conservation en tant que ressource partagée par les générations successives au fil du temps au communisme où les ressources sont partagées par des classes sociales vivant en parallèle à un moment donné. Ceci est trompeur car les deux intérêts, collectifs et individuels, sont dialectiquement entrelacés. Anderson et Grove soulignent le fait que la conservation a des résultats différents selon les groupes. Les communautés rurales paient le prix de l’aliénation de leurs propres terres. En effet, les personnes qui habitent aux abords des parcs sont traitées comme des nuisances. Les gouvernements profitent en empochant l’argent de la conservation. Les étrangers apprécient le paysage protégé dans les parcs et autres zones protégées. Les paysages sont vus comme des terrains de jeux pour les expatriés fortunés dont les résidents locaux sont exclus. Bref, une certaine littérature nous montre que la cause de l’écocide n’est pas du tout l’anthropocène l’usage par l’homme des biens de la planète.
Quelle leçon pouvons-nous tirer de ce dédouanement de l’anthropocène ?
Le présent MDW pense que l’écocide auquel nous assistons est un écocide capitaliste et qu’il sera impossible de résoudre le problème de l’écocide capitaliste par des solutions capitalistes. Il est donc correct de dire que l’écocide, qui est la destruction de l’écologie est provoquée par le capitalisme. Mais, qu’est-ce que nous entendons par capitalisme?
Le capitalisme se définie brièvement par deux types de séparations : la séparation de l’ouvrier d’avec son produit et la séparation de l’ouvrier d’avec ses moyens de production. Le salaire, ou mieux l’institution salariale font partie du capitalisme. Comme le salaire capitaliste est obtenu de la part du patron, l’ouvrier est condamnée à une attitude d’humilité devant son patron. Nous passons plus de la moitié de notre vie dans une attitude d’humiliation devant un propriétaire ou un patron qui vous paye chaque mois. Le capitalisme joue sur les peurs basiques comme la peur de ne pas survivre ; l’aiguillon de la faim, etc. Le travail n’est plus une affaire anthropologique de désire de faire partie du monde en le transformant au besoin. Le travail est aujourd’hui l’activité humaine ressaisie dans les rapports capitalistes. On dira que la maman qui reste à la maison à faire des travaux domestiques ne travaille pas alors que le professeur d’université qui relaxe sur la plage en Normandie en laissant ses assistants au Congo assurer ses cours, celui-là travaille et est payé mensuellement.
Le capitalisme a besoin d’une croissance effrayante qui ne peut se contenter de peu; il est prêt à détruire tout, y compris la planète pour continuer à accroitre. L’écocide que nous vivons aujourd’hui est mené par le capitalisme. Le capitalisme nous donne du confort, un certain standing de la vie, et en même temps il détruit la planète. Ils nous apportent les pandémies et la misère pour le grand nombre. Il nous faut soustraire la majorité des individus du chantage capitaliste qui les taraude.
Nous sommes colonisés par des formes discursives. Nous utilisons la grammaire du système. On ne peut pas détruire le système en gardant sa grammaire. Il ne s’agit pas de prendre des mesures et de rester dans le même système. Les luttes contre la déforestation, différents COP ou réunions sur les climat, sont toutes des demandes internes au monde capitaliste. Il faut changer le monde, mais on ne peut pas changer le monde avec la logique interne au monde. Il nous faut changer radicalement la forme de l’ordre social.
Rédaction :+243816440669
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