Le Mot du Weekend (10 Décembre 2022) L’Intelligence Marxienne de la Réalité Sociale. (Patience Kabamba)

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Par Léon Idole HOPAY
L’Intelligence Marxienne de la Réalité Sociale.(Patience Kabamba)

A travers ce MDW nous allons reprendre les lignes maitresses de l’analyse sociale de Karl Marx pour en montrer la force incomparable. La pensée de Marx revient avec force aujourd’hui, parce que la quasi-totalité de ses prédictions s’accomplissent devant nos yeux. Alors que ses prédictions étaient faites dans le cadre du début de l’industrialisation au XIXème, et dans un espace limité qu’était la France, l’Allemagne et l’Angleterre où il a vécu, aujourd’hui, c’est tout le monde entier qui est dominé par le capital comme Karl Marx l’avait prédit. Son œuvre majeure qu’est Le Capital (plus de six tomes dont les gens ne lisent souvent que le premier et ignorent les autres tomes. Il y a très peu des gens qui ont lu les six tomes du Capital) est une phénoménologie de la valeur. Elle détaille la forme que prend la valeur dans l’histoire , de la merchandise à la spéculation financière et fictive des Hedge fund d’aujourd’hui. Le premier livre du Capital parle de la production(1), circulation (2) et des deux ensembles (3). Karl Marx fait une analogie entre l’univers marchand et le monde religieux. Les capitalistes sont des Pères de l’Église qui interprètent les écritures marchandes. Nous leur obéissons religieusement.

Le mot le plus important chez Marx, c’est la valeur, et surtout la valeur marchande. Le foufou que madame prépare est une valeur d’usage, il sert à vous nourrir, mais ce même foufou préparé dans un restaurant dévient est valeur marchande, il produit des intérêts.
La valeur est pour Karl Marx un rapport social déterminé des hommes entr’eux et qui revête la forme fantastique des rapports des objects entr’eux. Si la politique est le rapport que les hommes entretiennent avec d’autres hommes, alors l’économie est le rapports que nous avons avec les objets. Karl Marx fait une critique de l’économie politique en montrant au moyen d’une ironie caustique que les rapports entre humains n’existent plus qu’à travers des rapports avec les objets. Ces objets finissent par dominer l’homme qui les a créés. Ils deviennent des vampires qui sont des morts qui ne se maintiennent en vie qu’en suçant les sangs des vivants. Pour Marx, nous vivons dans un monde à l’envers ou le producteur est complétement dominé par son produit.

Mais, en quoi cela nous concerne directement aujourd’hui au Congo en ce XXIème siècle ? Pourquoi le MDW parle-t-il de Karl Marx aujourd’hui?

Je répondrai à cette question en commençant par citer l’axiomatique au fondement de l’intelligence marxienne de la réalité sociale:

« Les hommes produisent les conditions matérielles de leur propre existence. »

Je paraphrase : nous, Congolais, produisons les conditions de notre propre existence. Il y a bien entendu des imbrications entre le local, national et le global. Je voudrais démontrer comment cette phrase de Marx fonctionne parfaitement bien chez nous.

Comment?

Je vais m’appesantir sur une pratique que nous utilisons et qui fait partie des conditions matérielles de notre existence que nous produisons nous-mêmes.
Le vais épiloguer sur une expression que l’on utilise assez souvent au Congo. Il s’agit “du retour de l’ascenseur”. Cette expression, qui a une connotation positive dans son origine, – “rendre un service contre un service déjà obtenu” -, est, au Congo, déployée dans toute sa négativité dans notre pays. L’expression retour de l’ascenseur signifie dans son acception première « la faveur ou privilège que l’on accorde à quelqu’un en retour d’une faveur que cette personne nous a précédemment accordé. »
Comment est-ce que cette expression se vit au Congo ?
Si je vous ai aidé à trouver du travail, vous devez me remettre votre premier salaire sinon les deux premiers salaires. Il y a des professeur d’université qui ont dû remettre l’entièreté de leur salaire à un commis de la Fonction publique ou à un conseiller d’un ministre qui l’ont aidé à être mécanisé. C’est cela le retour de l’ascenseur. Cette pratique prend plusieurs formes aujourd’hui: une personne qui est engagée comme professeur assistant est obligé à chaque paie de remettre une partie de son salaire a la personne qui l’a engagée comme professeur assistant. J’ai vu de mes yeux une personne qui gagne 2000$ par mois se faire remettre 100$ à chaque paie par un assistant qui ne touche que $250. Cette pratique est plus courante que nous ne le pensons. Elle comporte deux principales conséquences:
a) La personne qui touche déjà beaucoup d’argent s’en sort encore avec beaucoup plus en appauvrissant ceux qu’elle rançonne. A bout d’un mois, après une paie, la personne qui a aidé à engager plusieurs assistants s’en sort avec 10.000$ alors que les assistant s qui remettent la “dime” ne parte chez eux qu’avec 150$.
b) La deuxième conséquence est que l’assistant qui n’a plus que 150$ pour vivre va à son tour harceler les étudiants. Il conditionnera la réussite à ses cours par l’achat obligatoire des syllabus ou ce que l’on appelle abusivement le “droit d’auteur”. Les étudiants sont obligés de payer les syllabus pour réussir. Parfois ces syllabus coutent jusqu’à 20$ la pièce. Les vingt dollars peuvent paraitre dérisoire. Il y a des classe des 600 étudiants, l’assistant et son enseignant peuvent s’en tirer avec 12.000$ de la vente des syllabus.

Je voudrais souligner le fait que les 20$ payés par l’étudiant est un fétiche dans ce sens qu’il cache le processus qui a conduit à son obtention par l’étudiant . Pour payer les syllabus de leurs enfants les familles sont parfois obligés de s’endetter, ou se priver de nourriture. Les filles vont parfois se jeter dans les bras d’un copain ou d’un homme capable de lui remettre de l’argent pour les syllabus. Les 20$ que l’étudiant remet à son professeur assistant occultent tout le processus qui a conduit à son obtention ; -cet argent peut être à la base du déséquilibre dans une famille -, d’un processus social qui conduit soit à l’endettement des parents , soit à la prostitution.

Nous construisons ainsi les conditions de notre vie commune. La pratique du retour de l’ascenseur est un exemple type du fétichisme qui est à l’œuvre dans notre société.

Pour finir, il est important de considérer que l’attente du retour de l’ascenseur et sa pratique sont deux conditions matérielles historiques qui président à la prise des décisions du future. Celui qui n’a pas renvoyé l’ascenseur ne sera jamais reconduit dans son travail. La décision de vous maintenir comme assistant est conditionnée à la fois par le retour de l’ascenseur et le processus qui y conduit. Nous avons ainsi créé les conditions matérielles de notre existence commune au sein de nos universités.

Après plus de quatre ans d’accointance avec Karl Marx au sujet duquel je prépare une seconde thèse de doctorat, j’en suis arrivé à croire que le problème majeur que Karl Marx dénonce dans ses écrites est que les hommes sont totalement dominés par le produit de leur intelligence commune. Les objets que nous avons produits ont pris leur autonomie et se sont divinisés. Nous tuons, nous nous exploitons les uns les autres à cause de l’argent qui a pris ses libertés par rapport à l’homme qui l’a créé. Nous sommes arrivés à un monde à l’envers ou le produit domine son producteur. Nous somme comme le dirait Sebastian Franck (1499-1543), dans un carnaval des fous. Le résultat, disait-il, est que les fous, les incompétents, les méchants et les corrompus nous gouvernent. Les gens biens sont au bas de l’échelle.

L’inversion de ce monde inversé est le projet communiste de Karl Marx.